Mars 2024


Psychologie de la reprise d'entreprise

Un papier rédigé par deux enseignants chercheurs énumère les difficultés psychologiques de la transmission d’entreprise : résumé et commentaires.

Une transmission est un triangle entre trois acteurs ou trois groupes d’acteurs : le cédant, le repreneur et les salariés de l’entreprise, chacun ayant ses difficultés propres.

Le cédant. La grande affaire, ici, se résume finalement en un seul mot : le deuil. Car céder son entreprise, c’est réaliser une perte à la fois sur le pouvoir, mais aussi sur l’identité. Quiconque s’est intéressé à la reprise sait la majorité des cédants valorisent leur entreprise de façon excessive, souvent une fois et demie à deux fois le prix considéré comme juste par un observateur neutre. L’explication traditionnelle qui consiste à dire : « c’est son bébé », me semble faible ; il me paraît plus convaincant de considérer que le prix est à hauteur de la perte, toute subjective soit-elle. Ce deuil sera d’autant plus difficile à traverser que :

  • Le cédant n’aura pas effectué un processus de distanciation avec son entreprise : mon entreprise, ce n’est pas moi ; je ne suis pas mon entreprise ;

  • Il n’aura pas prévu de reconversion.

De là une attitude souvent ambivalente : il veut céder et, à la fois, il ne veut pas. Avec, parfois, des conséquences dramatiques où l’entrepreneur emmène sa société dans la tombe. Ces phénomènes ne sont pas conscients la plupart du temps et peuvent amener le cédant à torpiller son successeur ; aussi le simple travail de mise au jour de ces problématiques est-il absolument primordial.

Le repreneur, quand il n’est pas héritier ou salarié, ce qui représente plus de 50 % des cas, a lui pour difficulté d’arriver dans un environnement étranger. Comme un salarié ordinaire, mais sans pouvoir compter sur la sympathie « du petit nouveau ». Et même quand il est héritier ou salarié, il a à endosser son nouveau costume. Or le piège est qu’il considère souvent la reprise – long processus difficile et semé d’embûches, souvent plein de rebondissements et de montagnes russes émotionnelles – comme un aboutissement – Ouf ! J’y suis enfin arrivé ! – et non comme un point de départ. Or, ce lundi matin où il prend officiellement les rênes de l’entreprise est le premier jour des difficultés car s’il a gagné la propriété de l’entreprise, il n’en a pas encore gagné la direction. Ainsi doit-il lutter contre l’excès de confiance qui peut accompagner la victoire de la reprise, excès de confiance dans ses compétences dans un environnement étranger, excès de confiance dans son autorité et son leadership. Ce qui l’empêchera parfois de prendre le temps de la nécessaire période d’observation, d’écoute afin de comprendre, de rassurer et de séduire.

Quant aux salariés, ils vivent un changement qu’ils n’ont pas voulu et sur lequel ils peuvent estimer n’avoir pas de prise. En découle de l’anxiété, voire de l’angoisse dans un climat d’incertitude. Va-t-il y avoir des licenciements ? Vais-je garder mon poste ou ma liberté ? Ce changement peut se trouver aggravé par le sentiment de perte du lien avec l’ancien dirigeant. Bien souvent, la situation de reprise génère une sorte d’apathie et d’immobilisme qui peut avoir des conséquences dramatiques pour le processus, quand ce n’est pas carrément des conflits sociaux voire du sabotage. D’où la nécessité de rassurer, d’abord par la clarté des intentions et du projet.

La transmission d’une entreprise renvoie chacun à ses fondements existentiels, qui sont la mort, l’imperfection, la solitude, la quête de sens et la liberté. La mort car la reprise est une histoire qui se termine, pour le cédant d’abord, mais aussi pour son entourage ; l’imperfection et son cache-misère qu’est le sentiment de toute-puissance de l’impétrant ; la solitude pour l’un et pour l’autre, doublée d’un sentiment d’abandon pour les salariés ; la quête d’un sens à réinventer et la liberté au moment du choix pour chacun : céder ou pas, reprendre ou pas, rester ou pas.

Ce qui fait de la reprise bien autre chose qu’une histoire de chiffre, de valorisation, bien autre chose même qu’une simple affaire de management. Une histoire de vie.


[1] Psychologie de la transmission de PME – Sonia Boussaguet, Thierno Bah – http://www.reims-ms.fr/agrh/docs/actes-agrh/pdf-des-actes/2008bah-boussaguet.pdf



Laurent Quivogne
Le 15-09-2015
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