Mai 2024


Entretien avec Hesna Cailliau - " Le choc des civilisations est un choc des ignorances " (4/5)

Quatrième extrait de l'entretien accordé par Hesna Cailliau à Dirigeant Magazine.

Que pensez-vous de la théorie du choc des civilisations de Huntington ?

Hesna Cailliau : Le choc des civilisations est un choc des ignorances. Ignorance et arrogance vont de pair. La peur, le mépris de l’étranger sont toujours liés à l’ignorance. Chaque civilisation a ses cimes et ses abimes. Mais on ne connaît l’âme d’un peuple que dans ses qualités non dans ses dérives. Malheureusement nos médias ne montrent que les aspects négatifs. On en paie le prix : le plus beau pays du monde, la France, est devenu le plus pessimiste du monde. Pour Bouddha : « le pessimisme est un laisser-aller, il faut vouloir être heureux » Autrement dit l’optimisme est un devoir, d’abord par respect vis-à-vis des autres parce que le pessimisme est contagieux ; mais aussi par devoir vis à vis de soi-même parce que le pessimisme étouffe notre créativité. L’enthousiasme du chef d’entreprise est l’oxygène de son entreprise faute de quoi elle périclite. L’optimiste n’est pas un utopiste béat et naïf : il sait ce qui ne va pas mais a décidé de faire vivre ce qui va. Les Français sont à l’origine du concept de l’homme universel et de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Mais nos penseurs n’ont pas pensé la différence comme inhérente à la nature même du monde. Subjugués par l’idée qu’il existe une vérité unique, nous n’avons pas su pendant longtemps apprécier les autres traditions. Nous clamons l’universel mais renâclons devant la différence. Face à un monde devenu multi polaire nous avons peur en nous ouvrant aux autres cultures de perdre notre identité et nos valeurs. Cette peur se traduit en France mais aussi dans toute l’Europe par le développement de la xénophobie et du populisme. Le Japon, la Corée du Sud, Singapour, Taïwan … montrent que l’on peut s’inspirer des autres cultures et se développer tout en préservant ses valeurs traditionnelles. La Chine elle-même a réussi son décollage économique en retrouvant ses traditions : celles-ci ne sont plus « l’opium du peuple » comme sous Mao mais « un capital social ».


Comment concilier islam et modernité ?

Hesna Cailliau :L’Islam n’est pas un frein au développement économique. En témoignent Dubaï, Oman, le Qatar, la Malaisie, l’Indonésie… Ces paysmontrent qu’entre les despotes laïcs et les barbus sanguinaires, il existe une troisième voie, celle qui concilie tradition et modernité. L’erreur du shah d’Iran est d’avoir voulu occidentaliser son pays à marche forcée avec le résultat que l’on sait : l’arrivée au pouvoir des Ayatollahs en 1979. Compte tenu d’un monde devenu multipolaire, la Charte de 1948 devrait intégrer la notion de vérité plurielle et relative, faute de quoi l’universalisme conduit inévitablement à exclure les particularismes. Il est temps aussi de remplacer la notion de progrès par celui de symbiose. Le progrès suppose qu’à terme tous les pays finiront par s’aligner sur le même modèle, le modèle occidental évidemment ; la symbiose sous-entend que les différences sont appelées à durer car mutuellement profitables. De toute façon, Il ne saurait y avoir de culture universelle ne serait-ce que par la diversité des langues. Seule 10% de l’humanité pense en anglais ! En chinois le mot liberté n’existait pas jusqu’au XIX° siècle et il a encore aujourd’hui une connotation négative car il évoque l’individualisme. Toute langue est chargée de culture et est donc un facteur fondamental de l’identité ; c’est pourquoi un chrétien d’Orient n’est pas un Occidental comme on a tendance à le penser, il est plus proche d’un arabe musulman que d’un Français chrétien.


En quoi la découverte de traditions différentes de la nôtre est bénéfique ?

Hesna Cailliau : Cette découverte bouscule nos évidences, permet d’en découvrir d’autres et c’est tant mieux : « Une âme habituée est une âme morte », disait le philosophe Gaston Bachelard. Elle permet de découvrir des chemins oubliés de sa pensée et peut-être même des affinités avec une partie ignorée de nous-mêmes. Même si on ne travaille pas à l’international, il y a des idées et des façons de faire dans leurs traditions dont on peut s’inspirer tant pour notre développement tant personnel que professionnel. Cette découverte permet également de retrouver dans notre propre culture des sagesses que la poussière du temps a progressivement recouverte. L’heure est venue d’échanger non seulement nos marchandises, mais aussi nos valeurs, au sens latin du terme « valore », force de vie.


Propos recueillis par Lionel Meneghin
Le 3-10-2017
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