Sa boîte, comme un bateau à l’horizon
Au 1er juillet, j’ai cédé mon activité à l’un des collaborateurs de l’entreprise. Ce fut une longue histoire, initiée voici près d’un an et qui est la suite assez logique d’une histoire plus longue encore, celle de l’entreprise qui a eu 10 ans au mois de janvier dernier. Une longue histoire qui a donc connu un heureux dénouement en ce début d’été, en attendant les autres épisodes de la jeune et nouvelle structure.
Nous avons tout fait pour que le changement soit minime pour les parties prenantes de l’entreprise : les clients, les fournisseurs, les salariés… Mais il y a au moins deux personnes pour qui ce changement n’a pas été minime : Anthony, le repreneur, qui sent maintenant le poids de la responsabilité et l’ivresse de la liberté ; et moi-même, débarqué peu ou prou du bateau, même si je suis disponible pour de l’accompagnement. Et cela seulement, au-delà des sentiments très variés que j’ai pu ressentir, m’a suffi pour changer radicalement mon regard sur l’entreprise.
Alors que cette transaction a été le fruit d’un processus long de nombreux mois, il ne m’a fallu que quelques jours et quelques discussions avec mon repreneur pour découvrir quelques lacunes dans ma gestion de l’entreprise depuis 10 ans ; un certain nombre de choses que j’aurais dû faire et que je n’ai pas faites ; un certain nombre de constats que j’aurais dû faire et à côté desquels je suis passé. Certes, la nouvelle situation m’empêche de vérifier si cette prise de conscience est une vue de l’esprit ou une réalité qui m’aurait permis, si j’avais réalisé tout cela en étant encore aux commandes de l’entreprise, de prendre des décisions, de transformer en acte ces constats. De même qu’elle m’empêche de vérifier si ces décisions auraient été pertinentes et auraient donné des résultats. Je ne peux qu’en faire état à mon repreneur. Mais c’est déjà beaucoup.
La question qui me vient est : aurais-je pu faire ces constats – dont les causes ne sont pas nouvelles – plus tôt ? Comment aurais-je pu me mettre sur le chemin de ces mêmes décisions pendant le temps de mon mandat ?
La réponse est écrite plus haut : en descendant du bateau.
Bien sûr, il ne s’agit pas pour tous les lecteurs de céder leur société ; mais seulement de s’en éloigner sans cesser de la regarder. Car voilà ce que je pressens : nombreux sommes-nous à ne pas décrocher ou trop peu – comme ce fut le cas pour moi pendant très longtemps ; ou alors, comme un balancier qui repart à toute allure dans l’autre sens, nous prenons un vrai « break », des vacances sur une île déserte, un trekking dans le désert, la traversée du pôle Nord en traîneau, etc. Si possible une activité très engageante qui nous permettra d’oublier un temps nos tracas et notre stress en nous mobilisant au maximum.
Or cela nous fait une vie où nous passerions de l’activité de la journée à une sorte de coma nocturne oublieux de tout ; une vie sans rêve. C’est-à-dire une vie sans ce travail sur les événements de la journée, sans la possibilité de faire émerger de nouvelles idées ou de nouvelles critiques.
Devoir de vacances donc, cher lecteur : commence par prendre des vacances ; par exemple à la mer, mais la consigne est ajustable à la montagne, à la campagne, à la ville ; assieds-toi au bord de la grande bleue et regarde un bateau qui part et disparaît lentement à l’horizon. Dis-toi que c’est ton entreprise ; même si tu n’es pas dirigeant, il y a bien quelque projet qui te tienne à cœur ; dis-toi que ton entreprise s’en va et disparaît, qui sait la fortune de mer, peut-être à tout jamais. Et laisse ton cœur te souffler tout ce à quoi tu n’as pas pensé avant de la quitter ; comme un être aimé qui s’en va pour un long voyage, laisse-le partir sans oublier ton amour pour lui.