La confiance n’exclut pas le contrôle
Elle me semble néanmoins opportune pour parler du sujet de la confiance, à l’occasion de la révélation de l’écoute de nos dirigeants par les Etats-Unis. Que des voix se soient élevées quand les faits ont été connus, voilà une chose qui ne surprend guère. La diplomatie est le lieu où l’on exprime ses regrets ou son inquiétude, où l’on proteste, parfois avec véhémence, ou bien où l’on se félicite. Je ne me départis pas à cet endroit de l’image d’un salon mondain du XVIIème siècle, salon aujourd’hui à l’échelle de la planète. Si la France, nation phare du monde à l’époque, a encore une paternité à revendiquer, c’est peut-être ici.
Deux choses me semblent remarquables dans cet épisode, et surtout source d’apprentissage dans le monde de l’entreprise. D’abord que le monde semble se diviser selon une partition bien définie : les amis et les ennemis ; ensuite ce que cet épisode dit des rapports de force.
Les responsables politiques s’exclament: un ami ne devrait pas nous espionner. Puisqu’ils protestent, c’est qu’ils considèrent que les Etats-Unis font partie de nos amis. ;qu’il y a dans cette catégorie un certain nombre de pays qui ne nous écoutent pas (ou ne devraient pas nous écouter) et dans l’autre catégorie un certain nombre d’autres pays qui sans doute nous écoutent (ou aimeraient nous écouter) et que nous écoutons sans doute puisque, par corollaire, entre ennemis, il est normal de s’écouter. Il y a l’idée qu’un pays est ami ou ennemi ; ou, pour être encore plus clair, totalement ami ou totalement ennemi. Bien entendu, cette proposition ne résiste pas une seconde à l’examen et nous savons que la qualité d’ami ou non dépend de la situation. Sur certains dossiers, nous sommes amis ; sur d’autres, nous sommes, sinon ennemis, du moins adversaires. Serait-ce à dire alors que des pays peuvent s’écouter sur certains dossiers et sur d’autres non ? Absurde, évidemment.
Il y a là, la marque du pur raisonnement mental qui peint le monde en noir ou blanc et oublie de contextualiser ce qu’il énonce.
De même dans l’entreprise : nul n’est totalement votre allié ou votre ennemi, à supposer d’ailleurs que cette considération ait un sens. La question est donc : profitant d’un moment d’amitié, comment construire une relation qui résiste à la tentation de la suspicion ; je sais que tu te renseignes sur moi ; je sais que, peut-être, tu as un dossier sur moi, parce que, peut-être, tu as peur tout simplement. Je sais que ce n’est pas parce que tu dis me faire confiance que tu ne cherches pas à me contrôler. Comment, sachant cela, construire malgré tout une relation entre nous ?
Ce qui nous amène au deuxième point : si je proteste contre une conduite que j’estime inappropriée, voire inadmissible pour moi, c’est que je m’engage à une forme de sanction : si tu ne cesses pas immédiatement, voilà ce qu’il va se passer. Sinon, ce n’est pas une protestation, mais une plainte, ce n’est pas une menace mais un aveu d’impuissance : tu as donc raison de me contrôler puisque je n’y peux rien.
L’entreprise est aussi lieu de différences de pouvoir et nous avons à côtoyer des personnes ou des organisations qui ont un pouvoir sur nous : notre hiérarchie mais pas seulement ; un client clé, une ressource rare dans l’entreprise. Protester en situation d’impuissance ne mène à rien, sinon à renforcer les raisons mutuelles de se défier de l’autre. C’est un exemple typique d’une action qui tient compte des intérêts mais ne tient pas compte de la relation. Or soigner la relation me semble primordial en toutes circonstances ; sinon, à quoi bon protestations, regrets ou félicitations car le canal est alors coupé et la parole devient vaine. Soigner la relation même si on est en conflit ; même si cette relation est tendue, voire momentanément coupée, indépendamment de l’actualité immédiate, pour préserver la possibilité d’un lendemain.
Toutes choses que la diplomatie sait parfaitement faire et pour lesquelles, bien souvent, elle se fait traiter d’hypocrite. Ce qui laisse augurer que les protestations actuelles n’émanent pas des diplomates, ont une autre fin et ne s’adressent pas à nos amis américains mais à nous, français. Ce qu’on appelle de la communication interne en entreprise.