L'Age d'Or, c'est maintenant !
Bien sûr, si vous êtes français, vous ne me croyez pas : nous sommes le peuple le plus pessimiste du monde. Selon le sondage Yougov de 2016, seuls 1 % d’entre nous estimaient que les choses allaient de mieux en mieux, contre 81 % qui jugeaient qu’elles empiraient et selon les autres, ce n’était ni l’un, ni l’autre : rien ne change. Nous étions alors les plus pessimistes du sondage et les Chinois les plus optimistes. Mais on relevait dans cette étude de YouGov qu’aux Etats-Unis, on n’était guère plus convaincu qu’en France de l’amélioration de la situation : seuls, 6 % des Américains étaient de cet avis, contre 65 % qui se déclaraient pessimistes. Pas un hasard si l’année suivante, Donald Trump était élu président. Car c’est le politicien des regrets du cher passé, de la grande Amérique d’autrefois, et non de celle qui se projette dans un avenir excitant. Comme le dit Don DeLillo, dans Le Point, dans son slogan America is back, il faut entendre back to America, « un retour en arrière », une politique de la nostalgie.
La majorité des Européens estiment que les Américains ont fait une erreur en le choisissant. Mais nous faisons, collectivement, la même erreur en nous persuadant de vivre une époque abominable et en faisant le pari que le pire nous attend. Car nous risquons ainsi de passer à côté des opportunités que nous ne saurons pas voir.
C’est du moins l’avis des « New Optimists », un groupe de scientifiques, d’économistes, d’historiens et d’éditorialistes sur lesquels un long papier du Guardian britannique a attiré notre attention cet été.
Vérification faite, oui, il s’agit bien d’un mouvement d’idées. Sans être organisé, il est assez cohérent. Il a ses livres-cultes, comme le best-seller de Matt Ridley, un célèbre journaliste scientifique, The Rational Optimist Ridley part du constat suivant : il y a 10 000 ans, nous étions 10 millions d’êtres humains sur la planète et la grande majorité ne mangeaient pas à sa faim, avaient froid en hiver et vivaient dans des conditions générales très difficiles. Aujourd’hui, nous sommes plus de 6 milliards et nos conditions de vie ont progressé comme jamais au cours des 200 dernières années.
Conclusion : Malthus avait tort. Il était possible de nourrir 6 milliards d’êtres humains. Cela passait d’abord par une augmentation considérable des rendements agricoles. Elle a eu lieu au cours de la Révolution verte. Et la preuve de cette réussite, c’est que la majorité de la population du globe vit à présent dans les villes. Ils sont délivrés des contraintes d’autrefois, celles de l’agriculture de subsistance, qui fixait géographiquement, mais aussi socialement, les populations. L’humanité est devenue mobile. Une proportion croissante bénéficie des opportunités offertes par les technologies les plus récentes, autrefois réservées aux élites occidentales. A la fin de 2016, selon l’International Telecommunication Union, il y avait 7,4 milliards d’abonnements mobiles dans le monde. Ce nombre a plus que doublé en dix ans. Et 5,8 milliards d’abonnements ont été souscrits dans les seuls pays en développement, où le téléphone mobile a constitué un progrès décisif.
Il faut citer aussi le fameux psychologue de Harvard, Steven Pinker, auteur de The Better Angels of Our Nature. Why violence has declined. Il y démontre, à l’aide d’une batterie de statistiques que, contrairement à une idée répandue, notre époque n’est pas violente, au contraire. Ni l’un, ni l’autre n’ont été traduits en français. Nos éditeurs estiment sans doute que les bonnes nouvelles ne font pas vendre. Chez nous, le succès va aux essais catastrophistes, comme celui d’Eric Zemmour ou aux romans de Michel Houellebecq… Une exception, pourtant, le livre de l’économiste et historien suédois Johan Norberg, Non ce n’était pas mieux avant : 10 bonnes raisons d’avoir confiance en l’avenir, paru récemment chez Plon. Un des livres phares des New Optimists.
Evidemment, ils ont leurs sites, comme Intelligent Optimism, The New Optimists, ou Reason. La Fondation Bill et Melinda Gates anime un site nomméImpatient Optimists. Eux aussi sont dans le coup. Vous voyez : il y a de l’optimisme dans l’air du temps.
Les New Optimists revendiquent de grands ancêtres, comme
l’économiste Julian Lincoln Simon, disparu en 1998 et dont le dernier livre,
posthume, s’intitulait It’s Getting Better All the Time : 100 Greatest Trends of the Last
100 Years. Allusion à une fameuse chanson des Beatles et qui
donnerait en traduction : Ca va de mieux en mieux : 100 grandes
tendances des 100 dernières années. Il aimait commencer ses cours et ses
articles par une entrée en matière typique de sa méthode « Here are the
facts ». Car, contrairement à ce que prétendent leurs détracteurs, les
nouveaux optimistes ne sont pas des techno-utopistes ni des rêveurs New Age.
Ils fondent leur optimisme sur des réalités tangibles et mesurables. Nous
verrons demain comment ils interprètent, notamment, le spectaculaire
allongement de l’espérance de vie qui a eu lieu au cours des récentes
décennies.